Dernières parutions

Actualité
Rendre nos lectures actives – Théâtre / Public
Merci à Cristina De Simone et Thomas Horeau pour leur invitation à poser des mots, au milieu des urgences, sur…
Une semaine aux Scènes Croisées de Lozère
Une semaine aux Scènes Croisées de Lozère Du 13 au 17 mai 2024, j’aurai le plaisir de sillonner la Lozère…
Vosges Matin pour Nos Rêvoltes
Le sort des enfants placés au cœur deNos rêvoltes Les Amis du théâtre populaire (ATP) ont accueilli à la Louvière…
Un extrait
Un Mendiant
Une Femme en tailleur, avec un bouquet de roses à la main
La femme au bouquet de roses. – Ce que je préfère, c’est le dialogue. Je croise quelqu’un dans la rue, je m’arrête et on discute – trois fois rien, deux mots, une impression. On parle. Alors ce ne sont pas de grandes idées, de belles théories fumeuses, mais chacun fait un pas vers l’autre. On se change. Et à force, cela finit par faire une révolution modeste, une révolution à hauteur d’homme. Quand on se rencontre d’humain à humain.
Ce n’est pas ça le plus important ? Que cela soit encore possible…
La femme laisse son bouquet de roses au mendiant et sort en sifflotant, laissant le mendiant seul sur scène, bouquet à la main.
Le Cabaret des humiliés
– Sixième chant.
– Attends.
– J’attends.
– Tu fatigues ?
– Attends.
– On pose.
– Ça ne va pas ?
– Tu crois sérieusement que les choses pourraient changer ?
– Comment ça ?
– Tu crois au changement ?
– Je ne sais pas.
– À l’évolution.
– Je ne sais pas.
– Au progrès ?
– Je ne sais pas. Tu m’emmerdes.
– Tu veux savoir ce que j’en pense ?
– Dis.
– On ne sera jamais que des chasseurs de mammouth.
– Parle pour toi.
– Des chasseurs de mammouth avec nos femelles à la cueillette et nos peaux de bête griffées de marques internationales.
Faut-il désespérer du monde ou mourir en riant ?
L’Ogre. – La jolie jolie famille, hein… Ça fait rêver ! Et après, on va raconter partout que c’est moi le méchant… Ma grand-mère, elle me disait toujours : « Plus on est rude, moins on s’attache. Oublie jamais ça, mon ogrounet ! » Plus on est rude, moins on s’attache. C’est pour ça qu’elle donnait jamais de petit nom aux enfants qu’elle élevait. Ça lui évitait d’avoir de la peine au moment de les saigner. Bah oui. Bah quoi ? On mange pas les gamins plein de sang et de viscères, non. On n’est pas des sauvages. Pour le goût, on est bien obligés de les vider. Estomac. Tripes. Gosier. Rate. Foie. Quoi ?! Vous faites bien pareil avec vos poules et vos lapins, non ?
Un Caillou dans la botte
Paulson entre.
Henry Paulson. – Faillite ? Salut Lehman. Président.
George W. Bush. – Paulson, what a nice day !
Le banquier. – Monsieur le ministre des finances.
Henry Paulson. – Président, comment va votre dame ? J’ai bien entendu faillite ?
Le banquier. – Quelques légères difficultés passagères.
George W. Bush. – Saddam ?
Henry Paulson. – Votre dame, président !
George W. Bush. – Do you want to bomb Saddam ?
Henry Paulson. – L’État n’est pas là pour rattraper les irresponsabilités des banquiers.
Le banquier. – Paulson, qu’est-ce que tu racontes ? Vous venez de sauver tous les autres.
Henry Paulson. – On est déjà trop intervenus. Il faut laisser faire le marché. Si on vous sauve à chaque fois que vous perdez de l’argent, vous allez prendre de plus en plus de risques. C’est terminé.
George W. Bush. – Do you want a pretzel ?
Le banquier. – Mais pourquoi moi ? Je suis la quatrième banque de Wall Street ! La quatrième !
Henry Paulson. – Tu crois que tu peux faire n’importe quoi, prendre tous les risques, qu’il y aura toujours papa derrière toi ?
George W. Bush. – Dad ? Where is dad ?
Henry Paulson. – Il faut assumer tes responsabilités. C’est le jeu.
Le banquier. – Vous avez racheté tous les actifs toxiques des autres banques.
George W. Bush. – Dad is in the kitchen !
Henry Paulson. – Président, les élections approchent. Si on fait ça, même notre propre parti nous traitera de communistes.
George W. Bush. – Communist ? You take me for a fucking Chinese ? You think I’m Wall street’s cocksucker ? Here is not United Socialist States Republic of America.
Le banquier. – Vous ne nous avez pas surveillés. Il fallait réguler. Vous n’avez pas régulé.
Henry Paulson. – Il ne reviendra pas sur ma décision.
Le banquier. – Je discute avec le président, pas avec son ministre des finances. Président, il faut que vous donniez votre garantie !
George W. Bush. – I’m not a fucking gay.
Le banquier. – Si vous ne donnez pas votre garantie, tout le système s’effondre…
George W. Bush. – Sure, you don’t want a pretzel ?
Le banquier. – Pourquoi ? Président ! Président ? S’il vous plait !
George W. Bush. – Welcome in hell !
Le banquier. – Alors c’est la fin ?
Le banquier sort.
T.I.N.A. – Une brève histoire de la crise
Si tu as un visa,
tu entres.
Mais si tu veux rester, il te faudra
un titre de séjour.
Mariage, famille, études ou
soins médicaux,
depuis 2003, ça passe mal.
Mariages arrangés, faux malades,
enfants illégitimes,
depuis 2003, c’est douteux.
Il te reste la demande d’asile
ou le travail.
L’asile, c’est difficile.
Faux Irakiens,
faux Tchétchènes,
faux Afghans,
faux Syriens,
faux Érythréens,
faux Maliens,
faux Libyens,
faux Yéménites,
faux Soudanais,
faux Kurdes,
faux Burkinabés,
faux Albanais
faux Ukrainiens
faux Arméniens
faux Tchadiens
depuis 2003, l’asile c’est difficile.
Il te reste le travail.
Terres closes
Dieu. – Dieu soit loué ! J’ai cru que tu étais morte !
Sa Femme. – Elle a porté la main sur moi ! Blasphème !
Dieu. – Calme-toi.
Sa Femme. – Je la maudis ! Taillez-la en pièces et détruisez tout ce qui est à elle. Ne lui pardonnez point ! Tuez tout, depuis la femme jusqu’à l’homme, jusqu’aux petits enfants, et ceux qui sont encore à la mamelle, jusqu’aux bœufs, aux brebis, aux chameaux et aux ânes !
Dieu. – Chérie, arrête !
Sa Femme. – Je ne veux plus rien savoir !
Dieu. – Tu vas le regretter !
Sa Femme. – Qu’ils disparaissent de la surface de ma Terre !
Dieu. – Tu n’as rencontré qu’une seule femme, peut-être la seule de son espèce…
Sa Femme. – J’extermine tout ! Je recommence à zéro !
Dieu. – Tu parles sous l’emprise de la colère ! Si tu veux vraiment comprendre les humains, il faut rencontrer plus d’individus. Tu ne peux pas tirer des conclusions générales d’un cas particulier.
Sa Femme. – Ils me fatiguent déjà.
Dieu. – Il faut de la patience !
Sa Femme se calme. Temps.
Sa Femme. – Heureusement que tu existes, je ne sais pas ce que je ferais sans toi.
Divines désespérances
Yvette Gilbert : Moi, je travaille à la découpe, faire des pièces. Celui qui passe par la découpe directement, ça lui fait drôle !
Solange Denis : C’est des femmes sur ces outils de découpe.
Yvette Gilbert : C’est des hommes aussi.
Lucienne Chantepie : Il n’y a pas beaucoup d’hommes.
Solange Denis : Il y a les chefs !
Lucienne Chantepie : On est dans l’huile ! On n’a pas de tablier.
Solange Denis : On n’a pas de gants, alors on met des bouts de chatterton autour de nos doigts, parce que c’est incroyable ce que c’est coupant, la tôle qui vient d’être coupée, comme ça.
Lucienne Chantepie : Surtout quant elle est huilée.
Solange Denis : On a les mains toutes usées.
Yvette Gilbert : Après, on a quand même eu des doigts, des doigts en caoutchouc et puis les gants, les tabliers… Après, ils font des sécurités – les mains attachées et tout.
Solange Denis : Tu as les mains attachées et tu appuies sur une pédale et quand tu as appuyé sur la pédale, ça te retire les bras et puis ça découpe ta pièce.
Lucienne Chantepie : Des couteaux de hache-viande, des gamelles de moulin à légumes, des grilles de moulin à légumes, des palettes…
Yvette Gilbert : Le Mouli-râpe, le Mouli-sel, le casse-noix, le baby…
Lucienne Chantepie : Les grilles pour les Mouli-juliennes, les Mouli, les moulins et tout ça.
Un Cœur Moulinex
Justice
celui
qui te regarde
en répétant :
« Il n’y a pas le choix ! »
ou
« C’est comme cela ! »
« Naturellement… »
celui-là
il faudrait
le pendre
avec sa propre langue
Krack !
Le gendarme. – Qu’est-ce que vous cherchez ?
Lucia Serfer. – La vérité.
Le gendarme. – Je vous ai déjà expliqué tout ce qu’il s’est passé.
Lucia Serfer. – Mon frère n’est pas un « terroriste vert ». Mon frère est naturaliste.
Le gendarme. – Ce n’est pas incompatible.
Lucia Serfer. – Il a toujours eu horreur de ce qui n’était pas légal.
Le gendarme. – Les faits sont pourtant clairs, madame.
Lucia Serfer. – Le sac à dos n’existe plus. Après le projectile qu’il a reçu, même son dos n’existe presque plus. Pourquoi m’avez vous parlé de retrouver son sac à dos ? Je veux savoir ce qu’il s’est passé ce jour-là. Pourquoi vous avez tiré. Pourquoi est-ce que vous avez utilisé ces armes.
Le gendarme. – Ce sont les armes que nous a confiées la loi.
Lucia Serfer. – J’ai regardé les images.
Le gendarme. – Nos techniques de rétablissement de l’ordre sont reconnues dans le monde entier.
Marcher tout droit est un combat
– Est-ce qu’on a un projet politique ?
– Mais non !
– Bien sûr que non ! On est complètement immatures, encore.
– Parle pour toi.
– Je suis sûr que personne, ici, ne sait vraiment reconnaître la droite et la gauche.
– Parle pour toi !
– Tu sais faire la différence ?
– Qu’est-ce que tu crois !
– Vas-y, je t’écoute !
– On t’écoute, oui.
– Je sais très bien faire la différence entre les fachos et les autres.
– Ça recommence…
– C’est pas la question.
– Bien sûr que si. C’est peut-être un début, déjà.
– OK. Alors quand ils vont nous demander ce qu’on veut, les zombies, dehors, on leur dira : « On a un projet politique ! Et arrêtez de nous la faire à l’envers, on sait très bien reconnaître les fachos et les autres ! »
– Trop bien !
– Vous êtes cons, c’est pas possible !
Colèriennes, colèriens !
Mohamed. – Papa, je veux pas arrêter l’école tout de suite.
Amadou. – C’est comme ça.
Mohamed. – C’est pas ça que je veux pour ma vie.
Amadou. – On n’a pas l’argent pour deux écoles à la fois et tu le sais bien.
Mohamed. – Je veux prendre ma vie en main, papa.
Amadou. – Arrête de discuter.
Mohamed. – Je veux aller travailler et puis me payer mon école.
Amadou. – Si je te dis que tu peux pas, c’est que tu peux pas.
Mohamed. – Pourquoi il y aurait que toi qui aurait le droit de faire ce qui est bon pour toi dans ta vie, papa ? Pourquoi il y aurait que toi qui aurait du courage ?
Amadou. – Mohamed, tes paroles, là, tu devrais faire attention.
Mohamed. – Pourquoi il y aurait que toi pour être un homme ? Et puis, si tu es un si grand guerrier, papa, pourquoi on est encore dans cette galère avec toute la famille ?
Amadou. – Toi tu parles trop, toi !
Mohamed. – Pourquoi tu nous laisses tous dans cette misère ?
Amadou. – Tu parles trop, toi !
Mohamed. – Je prends mon courage.
Amadou. – Tu vas plutôt prendre tes affaires et aller avec ta mère nous préparer à manger.
Du piment dans les yeux
– Il faudrait imaginer une fillette de 10 ans, parlant devant vingt-quatre enfants. Une petite oratrice éclairée par la lumière des lampes de poche, devant une assemblée de couettes. Une vraie chambre des décisions ! Peut-être la première chambre des décisions de cette assemblée-là ! Deux jours avant la disparition.
Sofia. – Parce que le rond, c’est bien, mais ça suffit pas. Pour Sabri, par exemple, ça suffit pas. Et je suis sûre que pour plein d’autres ici, ça suffit pas de s’imaginer que chacun va pouvoir parler, qu’on va se voir, qu’on va être libres de dire ce qu’on pense… Il suffit pas de décider qu’on est libres pour l’être réellement. Ça enlève pas la peur. Ça enlève pas tous les empêchements. La liberté, ça doit s’apprendre aussi. Ça doit peut-être s’aider. Je me suis dit qu’on pourrait utiliser les dessins de Sabri. Qu’on pourrait essayer de jouer un peu avec ses dessins pour se dire ce qu’on pense. Ou ce qu’on pense que les autres pensent. Pour pouvoir s’occuper les uns des autres. S’occuper des affaires des uns et des autres. Avec Sabri, on voudrait fabriquer des masques. Des masques d’animaux.
Comme si nous… L’assemblée des clairières
Pierre. – Les gens, quand ils arrivent ici, ils croient tout de suite tout connaître parce qu’ils ont voyagé un peu. Ils croient que, comme c’est pas un endroit marqué dans les livres, ça sert à rien de regarder vraiment. De regarder vraiment bien, je veux dire. Les différentes couleurs de l’eau quand il a plu ou non. Les mousses qui s’enroulent autour des troncs d’arbre qui se baignent dans la mare. L’épaisseur de la boue sur les berges. Tu as fait attention à la forme des branches qui s’enfoncent dans l’eau ? Tu connais la forme qu’elles ont, les branches, quand elles plongent dans l’eau des mares à sorcières ?
La Mare à sorcières
Marie. – Tu es un beau parleur, Hubert.
Hubert. – Je suis pas sûr que tu m’aimerais en bas comme tu m’aimes ici. Est-ce que tu m’aimes ici ?
Marie. – Je crois que je préfère encore quand tu chantes.
Hubert. – J’ai jamais su chanter…
Marie. – C’est dire, hein !
Hubert. – Mart, il savait, lui.
Marie. – Oui.
Hubert. – Deux accords, une soirée.
Marie. – Oui.
Hubert. – Tu veux plus que je parle de lui.
Marie. – Tu fais ce que tu veux.
Hubert. – Des fois, je te plains. Des fois, je t’admire. Des fois, je t’envie. Des fois, j’ai envie que tu disparaisses de ma vie. Des fois, je suis fou amoureux de toi. T’es si belle ! T’es si forte ! T’es si complètement toi ! Des fois, je me fais honte. Souvent. Cette saleté.
Marie. – T’as vraiment l’ivresse désespérante, cette nuit.
Le Jour de l’ours
Tana. – Un soir, on est en décembre, je sais pas ce qu’il me prend
Je commence à écrire.
Au fil rouge.
Sur mon tambour.
Point arrière.
« JE NE SUIS PAS UNE VICTIME. »
Je réfléchis pas.
« JE NE SUIS PAS UNE VICTIME. »
J’ai l’impression de crier sur le tambour.
En même temps, je n’ai jamais été aussi calme.
Dedans.
La broderie, tu ne peux pas être énervée.
Sinon, ça ne marche pas.
J’écris précisément.
Chaque lettre.
Point arrière.
Je suis obligée d’être calme.
De respirer.
« JE NE SUIS PAS UNE VICTIME. »
L’Infâme
Nour. – T’es là parce que ton père te fracassait la tête pour se calmer le soir ? Ton oncle ? Ton frère ? Ils t’enfermaient dans la cave pour pas que tu les emmerdes pendant les vacances ? Ici, personne veut jamais raconter pourquoi il est là. C’est nul. La psy, elle dit qu’il faut pas avoir honte. C’est pas à nous d’avoir honte. C’est aux autres. Aux adultes qui nous ont pas protégés. T’es pas d’accord avec elle ?
Joseph. – Si.
Nour. – Alors mange ta soupe et tais-toi ! Elle va être froide. Tout le monde dit que je suis tapée, mais en vrai je suis pas méchante. Je te fais peur ?
Nos Rêvoltes
L’éducateur. – « Pour moi, aujourd’hui, c’est l’automne dans ma vie. » C’est ce qu’il me dit la première fois que je le vois. On est au mois de mars, au printemps. « Je parle pas de l’automne dehors, hein. Je parle de l’automne dedans. Dedans moi, c’est l’automne. » Il a ses deux yeux plongés dans les miens. « Bientôt ce sera l’hiver et après, bientôt, la mort. » Il a pas encore seize ans. Je lui réponds rien. Enfin, je crois. Lui, il éclate de rire. « Smile, mec ! »
Jordy. – Il faut toujours rire. Toujours. Sourire au moins.
L’éducateur. – « Keep smiling ! » C’est ce qu’il me dit, oui.
Jordy. – Paraît que ça peut donner le change.
L’éducateur. – « Don’t cry and smile ! »


