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L’Infâme

Tana débute une formation de couture en apprentissage. Elle a quitté le domicile maternel et vit chez son employeuse, en échange d’heures supplémentaires à l’atelier. Elle a fuit sa mère et tente de sauver ce qui peut encore l’être. Avec l’aide de sa patronne et de sa meilleure amie, Apolline, dans le silence de l’atelier et du travail manuel solitaire, la jeune fille va quitter les terreurs de l’enfance pour affronter sa vie. Pour affronter sa mère. La figure de sa mère.

L’Infâme est une pièce d’émancipation. Elle débute dans la honte de soi, dans le sentiment d’humiliation et de désagrégation. Elle s’achève avec la victoire de la guerrière, ferme dans sa volonté de vivre et de se construire un avenir, pleine de force pour demain. Elle s’achève loin de l’amertume et du ressentiment. Entre les deux, des histoires de brodeuses, de couturières, de tisseuses ; des histoires de fils noués et de fils coupés. L’Infâme est une histoire de liens.
Ceux qui nous brisent. Ceux dont on se libère. Ceux que l’on tisse.

création du Théâtre de l’incendie
mise en scène de Laurent Fréchuret
(c) Cyrille Cauvet
lecture par La Mousson d’hiver
direction Véronique Bellegarde

extrait

Tana brode.
Les gestes sont précis et le dessin très net.
Tana. – Longtemps, j’ai eu la tête emplie de bruits incessants.
De murmures.
De sifflements.
De voix criardes qui m’accompagnaient en permanence.
Quand le silence en moi se faisait, rarement, je restais sidérée.
Je me retrouvais épuisée, allongée, incapable du moindre mouvement.
Et puis les murmures surgissaient de nouveau au détour d’une rue.
Au détour d’un devoir.
D’un travail.
Bruit de fond qui recouvrait mes pensées.
Crasse.
Poisse.
Glu m’empêchant d’agir.
Je n’avais pas encore seize ans.
Je venais de m’enfuir de la maison de ma mère.
Je me retrouvais seule pour la toute première fois de ma vie
avec la certitude que tout était de ma faute.
Que je n’avais pas été et que je ne serai jamais à la hauteur.
Je me retrouvais seule, avec la certitude que j’étais responsable de ce ratage.
Je n’avais pas encore seize ans et j’étais sûre que toute ma vie était déjà tracée.

Autour de la pièce

Dans la presse

La première qualité de cet Infâme réside dans la réponse, sur le papier, de Simon Grangeat. Le texte qu’il a proposé à Laurent Fréchuret est tout simplement admirable dans l’élaboration et le développement de son sujet, dans son écriture serrée, d’une étonnante densité. Il met en lumière le parcours (le fil d’Ariane ?) d’une toute jeune fille en apprentissage de couture qui va, de fil en aiguille (pardon pour le jeu de mots !), trouver sa voie (x) avec l’aide de sa patronne-logeuse, et de sa meilleure amie au tempérament totalement opposé au sien. Autant dire que Laurent Fréchuret ne pouvait que se sentir à l’aise à dévider ainsi, avec l’aide de ses deux comédiennes, l’écheveau savamment tissé par Simon Grangeat (pardon pour la métaphore !). On connaît le doigté et l’intelligence du metteur en scène dans la direction toujours fine de ses comédiens ; il est ici servi au mieux par Louise Bénichou, la jeune apprentie qui s’évertue à couper tout lien avec son accapareuse de mère à qui Flore Lefebvre des Noëttes prête sa voix, étonnante dans son économie et la retenue de son jeu, aidée, soutenue par l’explosive Alizée Durkheim-Marsaudon. La relation entre les deux jeunes femmes aux tempéraments si différents l’un de l’autre prend peu à peu tout son sens. L’émotion est au bout du chemin.

Jean-Pierre Han
Frictions
juillet 2023

Les vertus concrètes du texte, d’une écriture simple, droite, juste, qui fait la part belle au mal-être, puis à l’émancipation de Tana, font de l’Infâme une sorte d’idéal modèle à proposer à un public jeune, apte à se retrouver dans les interrogations de son propre devenir. La preuve en est l’audience déjà rencontrée par ce spectacle, si brillamment défendu, dans lycées et collèges.

Jean-Pierre Léonardini
L’Humanité
mars 2025

Jamais psychologique, le texte ne donne pas d’explication à ce lien défait, à la supposée toxicité maternelle. Projection exagérée de sa fille ou perversion manipulatrice de la mère ? À chacun de se construire les pièces manquantes de l’histoire. L’écriture de Simon Grangeat a choisi l’ellipse et la métaphore pour laisser la part belle à l’imaginaire du public. L’Infâme est une fable de résilience où la rédemption passe par le silence et l’application d’un travail manuel créatif autant que par les liens que l’on noue soi-même, la famille que l’on se choisit.

Marie Plantin
sceneweb
février 2025

Un Théâtre de proximité
Médée, Folcoche, Madame Fichini : pour tordre le cou au mythe de l’instinct maternel, il suffit de relire la littérature. Simon Grangeat s’inscrit dans cette veine avec un texte puissant, servi par deux jeunes comédiennes solaires, remarquablement mises en scène par Laurent Fréchuret.
« Si le lièvre a 7 peaux, l’homme peut s’en enlever 7 fois 70 sans jamais pouvoir dire “cela est maintenant véritablement toi, ce n’est plus seulement une enveloppe” parce que ton essence véritable n’est pas profondément cachée au fond de toi-même, elle est placée au-dessus de toi, à une hauteur incommensurable, ou du moins au-dessus de ce que tu considères généralement comme ton moi. Tes vrais éducateurs, tes vrais formateurs te révèlent ce qui est la véritable essence, le véritable noyau de ton être. Quelque chose qui est d’un accès difficile, dissimulé et paralysé. Tes éducateurs ne sauraient être autre chose pour toi que tes libérateurs. » Contrairement au lièvre écorché d’Ibana, auquel de douces paroles rendent son pelage soyeux, celles de son amie Apolline ne suffisent pas à apaiser Tana. Il faut qu’elle fasse sien l’adage nietzschéen : renoncer au confort, de désaliéner de chaque entrave, escalader en solitaire la pente escarpée de l’émancipation, pour devenir la femme qu’elle a décidé d’être. Libérée de la honte, libérée de l’humiliation, libérée de l’amour fallacieux d’une mère toxique dont le chantage affectif se répand en voix off sur le plateau, elle abandonne l’amertume et le ressentiment et devient femme arrachée à l’infamie, passant de l’enfance muette à l’âge de la parole.

Le fil d’Ariane
La pièce de Simon Grangeat, qui répond à une commande du Théâtre de l’Incendie, a été répétée et créée dans des salles de classes de collèges et de lycées partenaires du Centre culturel de la Ricamarie. Sur scène, le dispositif reprend le principe d’un théâtre de proximité dans lequel Louise Bénichou et Alizée Durkheim-Marsaudon excellent. Touchantes et justes en amies complémentaires, elles parviennent à montrer sans l’expliciter combien le véritable amour et la vraie amitié sont d’abord et avant tout souci respectueux de l’autre. Rien n’explique pourquoi la mère de Tana la rend malade : les spectateurs peuvent ainsi insérer leur propre imaginaire dans le récit et comprendre que les liens les plus forts sont ceux que l’on nous invite à tisser sans nous y contraindre, dans un pur engagement sans assurance de réciprocité, dans le risque à prendre, dans la délicatesse d’une broderie dont Tana maîtrise progressivement les gestes, comme un danseur une chorégraphie. Pour affronter le Minotaure, il faut du courage, mais pour sortir du labyrinthe, pour ruser avec Dédale, il faut un fil et une belle âme confiante qui tient la pelote et laisse le guerrier ou la guerrière mener à bien sa mission libératrice. Devenir soi est un art martial et pas seulement un sport de combat : terrasser l’ennemi ne suffit pas. Louise Bénichou et Alizée Durkheim-Marsaudon, transfigurées au fur et à mesure que murissent Tana et Apolline, en font l’éclatante démonstration.

Catherine Robert
La Terrasse
juillet 2023

C’est à Artéphile que Laurent Fréchuret présente, dans le Festival Off d’Avignon, un texte de Simon Grangeat, « L’Infâme », écrit suite à une commande passée par le metteur en scène. « L’infâme » nous parle d’une reconstruction : celle d’une adolescente victime d’une relation toxique avec sa mère.

Tana est une jeune fille qui décide de couper les ponts avec sa mère qui la rend malade. Pour entrer dans la vie active, elle décide de suivre une formation en couture. Elle loge chez son employeuse en échange d’heures supplémentaires dans l’atelier. Elle se plonge alors dans le silence et dans le travail. Son amie Appoline vient souvent lui rendre visite et l’aide avec ses petits moyens à survivre dans cette nouvelle vie d’adolescente précipitée dans une vie d’adulte.
Au fil des mois d’apprentissage, Tana devient de plus en plus experte dans son travail, se passionne pour la broderie. Elle dénoue et noue les fils, tisse au fur et à mesure l’image de sa nouvelle vie. Peu à peu, elle s’émancipe de la figure maternelle, se guérit de la relation toxique qu’elle avait avec sa mère et prend en main son destin.
La mise en scène de Laurent Fréchuret repose entièrement sur les deux jeunes comédiennes Louise Bénichou et Alizée Durkheim-Marsaudon, toutes deux formidables, entre fragilité et force pour la première et insouciance et culot pour la seconde. Ce parti pris tient plus au fait que ce spectacle est, au départ, destiné à être joué dans des établissements scolaires, des lieux où les conventions théâtrales sont abolies. Cependant, cela fonctionne parfaitement car le spectateur entre dans les mots. Ce sont eux qui font l’univers, qui déterminent les espaces, les laissent s’inventer. La virtuosité des deux comédiennes y est sans doute aussi pour beaucoup : elles incarnent dans leur corps, rendent leurs gestes poétiques (notamment les points de couture), font tomber le quatrième mur en s’adressant directement aux spectateurs. On les suit sans en perdre une miette pendant une heure de spectacle, curieux de connaître la fin de l’histoire. Un vrai régal.

Julia Bianchi
Le Choryphée
juillet 2023

Une histoire de fils à briser et à nouer pour être soi
Laurent Fréchuret, le metteur en scène, a fondé en 1994 la compagnie Le Théâtre de l’Incendie et depuis 2019, il est associé au Centre Culturel de la Ricamarie (42) pour écrire et développer les dynamiques autour des écritures d’aujourd’hui. En 2022, il a l’excellente idée de commander à Simon Grangeat une pièce avec deux comédiennes d’une durée de 45 min pour qu’elle puisse se jouer dans les collèges et les lycées entre les deux sonneries de cours. Les contraintes loin de brider la créativité la décuplent. Baudelaire disait : Parce que la forme est contraignante, l’idée jaillit plus intense.Cette limite temporelle donne toute sa force à ce très beau spectacle. On ne s’ennuie pas une seule minute. On est embarqué dès les premiers mots dans cette histoire de brodeuses, de couturières, de tisseuses, de fils noués et de fils coupés, histoire inventée lors d’une résidence de création dans le collège des Bruneaux à Firminy et dans le lycée de la mode Adrien Testud au Chambon-Feugerolles.
Tana, qui n’a pas encore 16 ans, a quitté sa mère toxique et s’est placée en apprentissage chez une couturière pour survivre. Sa patronne la loge en échange d’heures supplémentaires à l’atelier et lui apprend les techniques de la couture et de la broderie. Avec l’aide de sa patronne et de sa meilleure amie, Apolline, sa totale opposée, elle va petit à petit, grâce aux heures de travail solitaire dans le silence, se libérer de ses terreurs enfantines, renoncer à se croire fautive de tout ce qui lui arrive, gagner en assurance et réussir à être elle-même, une jeune femme libre qui ose affronter sa mère et couper le cordon ombilical.
Les deux comédiennes , Alizéee Durkheim-Marsaudon (Apolline) et Louise Bénichou (Tana) sont formidables. Alisée Durkeim-Marsaudon joue une jeune femme enjouée, d’un milieu social assez favorisé, pleine de vie qui malgré son tempérament opposé à celui de son amie et les rebuffades de Tana ne va pas l’abandonner. Elle l’aide, l’encourage, la félicite et lui renvoie une image positive d’elle. Louise Bénichou est une Tana humiliée, profondément blessée, habitée d’une violence farouche qui se débat et lutte avec elle-même, contre elle-même pour écrire sa vie. Les mots « texte » et « tissage » ont la même étymologie. C’est en tissant qu’elle va se créer  : les fils s’entrelacent comme les mots pour dire qui elle est. Guidée par le metteur en scène Laurent Fréchuret, Louise Bénichou chorégraphie le travail de couture et de broderie qui se matérialise sous nos yeux. Elle choisit sa famille : son amie et sa patronne.
La mère est présente en voix off de Flore Lefebvre des Noëttes. Cette idée et l’absence précise des raisons pour lesquelles sa mère rendait malade Tana laissent libre cours à l’imaginaire des spectateurs. Les paroles doucereuses de la mère qui deviennent violentes, blessantes peuvent être celles d’une mère toxique ou les fantasmes de Tana.
Un spectacle à voir qui nous touche profondément. Allez-y avec vos ados, avec vos élèves. C’est une très belle histoire d’émancipation.

Frédérique Moujart
Blog-Culture du Snes-FSU
février 2025

L’apprentissage
Tana est une victime. Elle ne veut plus être une victime. Elle veut être, tout simplement.
Tana était venue à l’apprentissage comme on entre en religion, sans goût ni dégoût, avec seulement la nécessité chevillée au corps. À la fin de l’été, elle avait quitté la maison de la mère. Désormais, elle vivait sous le toit de son employeuse, payant son gîte de ses mains, besogneuse, soumise de bon gré aux heures longues, aux piqûres d’aiguilles, au labeur sans fin du tissu à dompter, d’un lexique à intégrer.
Il fallait oublier la mère étouffante, comme un poison qui lui rongeait l’âme. Et puis, lentement, l’hiver passa, et avec lui la peur. À force de couture, de fils tirés, de points repris, elle se redresse. Apolline, l’amie fidèle l’aide à tenir bon. Dans la répétition des gestes, Tana se fortifie. Un jour, elle se sent prête. Elle ne craint plus l’ombre maternelle.
Elle la défie. Le conte est métaphorique. couturière, brodeuse, tisseuse elle raccommode son histoire.

Le début du chemin d’émancipation
Les mots de la mère avaient été un poison, un fil invisible qui l’étranglait. Mais cette fois, ce ne seraient plus ses mots qui percute sa chair – ce serait la rigueur de l’apprentissage, le langage précis de la couture et de la broderie, un savoir-faire qui, point après point, la détache du passé pour la propulser vers un avenir.
Un jour, sa tutrice lui remet une paire de ciseaux. Ce ne sera pas un simple outil de métier, mais l’arme de son émancipation. Avec ces ciseaux, elle coupera le fil qui la retenait prisonnière, ce cordon ombilical imaginaire qui l’avait faite déchet du narcissisme maternel. Elle trancherait dans le vif, elle se libérerait.
Sur scène, les deux comédiennes donnent chair à cette lutte. Louise Bénichou incarne avec une vérité saisissante le combat de Tana, ce combat des mots sur un corps meurtri, et puis le lent travail de reconstruction par le geste, par l’apprentissage, par la répétition obstinée du savoir. Et puis il y a Apolline, ( talentueuse Alizée Durkheim-Marsaudon) l’amie radieuse, tourbillon de vie et d’énergie, née sous une étoile plus clémente, et qui, par un mélange de culpabilité, de tendresse et par un besoin irrépressible d’exister autrement, veille sur Tana. Elle veille comme veillent ceux qui savent leur chance et qui, d’instinct, cherchent à réparer un peu du malheur des autres.
Le texte est brut, sans concession, et pourtant traversé d’une poésie poignante. On ne s’ennuie pas une seconde. Il y a dans cette heure de théâtre quelque chose d’éclatant.
L’Infâme c’est une histoire de liens. Ceux qui blessent. Ceux que l’on arrache. Ceux que l’on tisse de ses propres mains, pour se construire enfin, libre et debout.
Broder sa propre méduse symbole d’émancipation.

David Rofé-Sarfati
L’Autre scène
février 2025

« Tana, 16 ans, vit dans une chambre de bonne au-dessus de l’atelier de couture de Mme Lesgret, sa patronne. Alors que la jeune fille travaille durement pour apprendre à coudre et à broder, « les voix de la mère » l’envahissent pour la décourager dans son apprentissage et par là même empêcher son émancipation. Régulièrement, Apolline, son amie, rompt le silence et la paix dont Tana jouit pendant les heures passées à broder, à faire le point sur ce qu’elle est vraiment. Sept mois lui suffiront pour se détacher de sa mère et lui dire, sans peur, ce qu’elle a sur le cœur. De fil en aiguille, des liens se tissent, d’autres sont coupés et l’ensemble forme le portrait touchant d’une jeune guerrière solitaire et victorieuse. »

Fanny Carel
La Revue des livres pour enfants
septembre 2023

Un désir violent d’émancipation vécu par une jeune fille de 15 ans, qui fuit l’emprise de sa mère. Réelle ou fantasmée, sa sensation d’étouffement est telle qu’elle rompt les amarres maternelles et s’en va chercher de l’air ailleurs. Et se retrouve en apprentissage chez une « patronne » qui l’initie à la couture et, mieux encore, à la… broderie. Grâce à laquelle – un point à l’endroit, un point à l’envers – elle finit par trouver sa liberté d’expression. Ce récit d’une résilience, commandé par le metteur en scène Laurent Fréchuret à l’auteur Simon Grangeat, a tourné dans les écoles. Et le pari est tenu d’une forme concise qui donne à voir les fragilités d’une adolescente, sous l’œil – ô combien affectueux – de sa meilleure amie vivant une vie lycéenne « normale ». Les deux actrices accomplissent ce sprint théâtral en utilisant une fine palette d’émotions. On ne les quitte pas des yeux.

Emmanuelle Bouchez
Télérama
juillet 2023

Avec L’Infâme, nous voici dans une histoire qui a été écrite par Simon Grangeat en lien avec des groupes de collégiens et de lycéens. L’héroïne en est une jeune fille, Tana, dont nous allons pénétrer l’intimité dans la chambre où elle s’est réfugiée pour fuir l’amour vampirique de sa mère. En cinquante minutes, elle va se libérer de cette emprise qui était en train de la rendre folle grâce à la découverte d’un métier suffisamment exigeant pour occuper ses mains et sa tête, et au soutien discret de sa maîtresse d’apprentissage. Grâce aussi à Apolline, adolescente solaire et pleine de vie.
Le personnage de Tana est puissant, Laurent Frechuret ne cache rien des crises qu’elle traverse et qui pourraient justifier une prise en charge psychiatrique. Elle parviendra pourtant à trouver l’apaisement et l’indépendance par l’accomplissement dans un métier d’art. L’atout de cette histoire de vie est qu’elle n’est pas univoque. Celui du spectacle est ce huis clos qu’illuminent deux jeunes comédiennes, Louise Bénichou, dans le rôle de Tana, et Alizée Durkheim-Marsaudon, dans celui d’Apolline. Toutes deux font preuve d’une présence étonnante et apportent à leur personnage une grande finesse et beaucoup de subtilité.
Ce spectacle porte un regard délicat et subtil sur la question de l’emprise en choisissant pour l’incarner, non un énième mari violent, mais une mère trop possessive, une araignée à la Louise Bourgeois.

Trina Mounier
Les Trois coups
juillet 2023

Résilience et apprentissage
Tana, à 16 ans, a coupé les ponts avec une mère toxique qui rendait son quotidien insupportable. Tout juste employée dans un atelier de broderie, la jeune fille apprend un métier, mais aussi la résilience et la vie. C’est au travers d’un destin émouvant que Simon Grangeat et Laurent Fréchuret abordent les thèmes de la famille, de l’amitié et de l’apprentissage. La technique devient outil de libération et d’émancipation. On observe avec émotion la construction de l’individualité de la jeune couturière, mais aussi des liens qui la forgent, notamment son amitié avec Apolline.
L’infâme explore la question de l’adolescence avec beaucoup de justesse. Le scénario naît de multiples rencontres avec des élèves, leurs témoignages donnent à la pièce un goût de vérité et dénoncent de réelles préoccupations. La présence inquiétante de la voix de la mère alimente le tragique tandis que le jeu d’acteur ne néglige pas l’humour. Un mélange de registres intéressant et réfléchi.

Sibylle Brunel
Le Petit Bulletin
septembre 2022

Une chaise haute, une scène presque nue, et deux jeunes comédiennes aux voix remplies d’émotion. Il ne faut rien de plus pour que le texte de Simon Grangeat prenne vie avec intensité et intelligence. L’Infâme est un récit d’émancipation, une plongée au cœur d’un combat intérieur.
Tana est en fuite. Quitter sa mère, son passé, sa ville, c’est une nécessité. Mais l’ombre maternelle ne s’évapore pas si facilement : elle persiste, s’insinue, résonne dans sa tête comme une litanie oppressante. Sur scène, la voix de la mère, absente et pourtant omniprésente, remplit l’espace et force Tana à affronter ses terreurs d’enfant et ses doutes d’adolescente.
La couture devient alors plus qu’un métier, c’est un rituel de reconstruction, Tana ne veut plus être une victime et décide de se mettre en action pour grandir et se libérer de l’ombre de sa mère. Chaque point brodé est une affirmation de soi, un geste qui répare et libère. On suit avec fascination cette trajectoire : de l’humiliation à la révolte, de la fuite à la création. Dans cet atelier, lieu de discipline et d’apprentissage, Tana tisse une nouvelle identité, et des nouveaux liens, épaulée par une professeure exigeante et une amie fidèle, Apolline, figure lumineuse qui offre un contrepoids à l’obscurité maternelle.
Le texte de Simon Grangeat est précis, incisif, rythmé. Il explore avec finesse les liens familiaux, leur poids, leur douleur et la nécessité de s’en affranchir. Dans la mise en scène épurée de Laurent Fréchuret, toute la place est laissée aux émotions brutes qui traversent le spectacle : pas d’échappatoire, Tana est là, face à nous, nous livrant son histoire sans détour, les yeux plantés dans les nôtres.
Louise Bénichou, vibrante, tourmentée et déterminée habite le rôle avec une grande intensité. À ses côtés, Alizée Durkheim-Marsaudon, sincère et pétillante insuffle une énergie solaire et une humanité émouvante. Ensemble, elles ne se contentent pas de raconter cette histoire mais elles la vivent, l’incarnent, nous la font ressentir pleinement.
On comprend que ce spectacle, joué habituellement dans des salles de classe, résonne particulièrement auprès des jeunes. Comment ne pas se reconnaître dans ces conflits de filiation, dans ces liens qui nous étranglent autant qu’ils nous fondent ? La pièce dure 45mn pour laisser le temps à un échange. Le temps de parole qui suit la représentation ouvre un espace de dialogue, et prouve une fois encore que le théâtre est une nécessité vitale.
L’Infâme est une déclaration de liberté, un manifeste d’émancipation porté avec justesse, sincérité et générosité. Un spectacle court mais puissant, qui touche au cœur.

Manithea
février 2025

De l’infâme à la femme
Comment échapper à une mère toxique ? Par la fuite ? C’est utile mais pas suffisant car cette toxicité vous suit partout, elle est incorporée, « dans la tête ». Peu importe le jugement négatif de son entourage, Tana a tout quitté, mère, lycée, ville et copines pour se reconstruire ailleurs, autrement. Seule Apolline, sa meilleure pote, fera lien avec son passé. Et elle devra se déplacer, aller vers Tana car ce genre de départ n’a pas de marche arrière. Tout recul sera un faux pas, possiblement fatal. Tana s’inscrit à un C.A.P de couture puis de broderie et là, malgré les conditions de vie au début difficiles, le travail acharné va lui ouvrir la voie d’une émancipation, un peu comme si chaque point de couture appris et maîtrisé – point piqué, point sauté, droit ou de bordure, etc. – décousait les fils serrés du tissu maternel jusqu’à lui permettre de couper un cordon ombilical empoisonné avec ses grands ciseaux de couturière. « Je couds donc je suis » tel serait le cogito libérateur de Tana si on entend bien que cette couture nécessite de découdre ! Coudre est aussi un geste réparateur en chirurgie ! Ici la couture devient mime forcé puis jubilatoire, ballet de mains dessus-dessous. Détisser pour tisser. Détruire pour construire. Dualités dans lesquelles se débat Tana mais dont elle sortira victorieuse et joyeuse par la grande porte de la création : une broderie en lettre d’or « je ne crains plus rien ! »
Ce spectacle mis en scène par Laurent Fréchuret a la simplicité d’un conte et la violence salutaire d’une bataille menée au dedans de soi. Quant au texte de Simon Grangeat, il semble construit selon une esthétique rap : dialogues intérieurs, affrontements de points de vue, lutte de valeurs et solution (ici positive), le tout dans une rythmique soutenue. Sur le plateau nu, un unique meuble, une chaise haute et tournante, Tana sera sur la sellette mais aussi celle qui assène les questions, met en difficulté. La mère absente tente l’omniprésence par une voix off résonnant comme des bruits assourdissants dans la psyché de la fille interprétée par Louise Bénichou. En face, Appoline la copine, jouée par Alizée Durkheim-Marsaudon est le fil ténu mais résistant que Tana veut bien conserver de son passé. Les deux jeunes comédiennes énergiques et justes sont porteuses d’un beau talent. L’effet d’un tel spectacle sur les classes de collégiens et de lycéens devant lesquelles il a été déjà plusieurs fois présenté et même répété, a dû être puissant. Il a sans doute suscité des échanges passionnés et utiles, peut-être des libérations de paroles, voire en actes.
Un tel projet de théâtre puise aux racines de cet art : la représentation de tout ce qui fait nos vies et le tissage de liens, non seulement entre scène et salle mais aussi entre tous les membres du corps social dont le théâtre devrait être une fréquentation permanente comme dans l’Antiquité.
Citons Laurent Fréchuret citant Alain Badiou : « Le théâtre est la recherche d’une esthétique de la fraternité. »
Il faut aller applaudir cette Infâme qui parvient à se faire femme.

Jean-Pierre Haddad
Blog-Culture du Snes-FSU
juillet 2023

« L’Infâme », un spectacle plein d’émotion et de fraîcheur
Cette pièce est le fruit d’une rencontre entre le metteur en scène Laurent Préchuret et un auteur, Simon Grangeat, désireux tous deux de collaborer pour un public d’adolescents. Le spectacle a été conçu pour leur être proposé dans le cadre d’établissements scolaires.
Tina n’a pas 16 ans lorsqu’elle éprouve le besoin de s’éloigner de sa mère. Elle a le sentiment que celle-ci ne l’aime pas, qu’elle fait seulement semblant de l’aimer, qu’elle voudrait qu’elle soit différente. Son mal-être se traduit par des hallucinations auditives, des angoisses et la conviction que sa vie va être un échec.
La voilà donc en apprentissage dans un atelier de couture, y travaillant des heures supplémentaires pour payer sa formation et son hébergement et subvenir à ses besoins. Sa patronne, humaine et patiente, lui apprend, en les lui montrant, les gestes professionnels d’une couturière et d’une brodeuse. Très progressivement, au fil des mois, grâce à cette femme généreuse et douce, grâce aussi à une amie fidèle, réconfortante et encourageante, Tina va d’abord trouver l’apaisement, puis acquérir la confiance en soi qui lui faisait si cruellement défaut. Cette histoire de reconstruction identitaire et de nouveau départ est d’autant plus touchante et réjouissante qu’elle est servie par deux jeunes comédiennes au talent prometteur et d’un enthousiasme beau à voir.

La Provence
juillet 2023

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