Le Jour de l’ours
Les Solitaires intempestifs, 2022
96 pages
PERSONNAGES :
2 femmes
2 hommes
Prix et sélections
lauréate de l’Aide à la création d’Artcena, 2022
Soutiens à l’écriture
commande d’écriture de la compagnie Les Petites Gens, Muriel Sapinho, 2022

La pièce se présente comme un rituel – une cérémonie païenne de fin d’hiver où l’alcool, le désir, la fatigue et la mort rôdent et règnent.
Marie vit solitaire dans un mas de montagne, au milieu des forêts. Dans cet espace, qui est celui du rêve brisé tout comme celui de la reconstruction, s’invitent sans prévenir les autres protagonistes. Hubert, ami de longue date et amant occasionnel, qui a décidé d’utiliser le lieu comme camp de base pour un séjour de rupture pour Rosa, et Arthur, son neveu en pleine crise existentielle.
En cinq mouvements – trois nuits et deux jours – ces quatre-là vont se découvrir, s’affronter, se lier, se déchirer, jusqu’à l’irréparable.

mise en scène Muriel Sapinho
(c) Cyrille Cauvet

mise en scène Muriel Sapinho
(c) Cyrille Cauvet

mise en scène Muriel Sapinho
(c) Cyrille Cauvet
extrait
Un mas de montagne.
Bruits de moteur d’une voiture qui s’approche puis s’arrête.
Une portière claque. On ouvre un coffre.
Hubert entre.
Hubert. – Alors la nonne, toujours heureuse ?
Marie. – Pose les courses dans la cuisine, s’il te plaît.
Hubert. – Je t’ai pris deux bouteilles. Ça ira pour la messe ? J’ai demandé à un copain pour ta pièce. Il y a moyen qu’il la trouve. Pour ta 4L, je veux dire.
Marie. – Tu ne veux plus monter mes courses ?
Hubert. – Ça ne me dérange pas.
Marie. – Je ne suis pas sûre d’avoir envie de réparer cette voiture. Tu manges avec moi ?
Hubert. – Je veux bien.
Marie. – Ça ne va pas ? Tu as besoin d’aide ?
Hubert. – Il reste encore un carton dans le coffre.
Marie. – Je ne parlais pas des courses.
Hubert. – Moi, si. Donne-moi ce carton.
Marie. – Laisse.
Hubert. – Tu ne veux pas que je te file un coup de main pour finir ces travaux ? J’ai des semaines de vacances à prendre. On pourrait s’organiser un truc, tous ensemble.
Marie. – Je suis bien comme ça, Hubert.
Hubert. – Ce serait l’occasion de se revoir, tous. Faire une fête, quoi.
Marie. – Je n’ai pas envie de toucher quoique ce soit dans la maison. Ça nous empêche pas de faire la fête.
l’écriture
L’écriture du Jour de l’ours est amorcée par Muriel Sapinho. Elle vient de mettre en scène ma pièce Terres closes et c’est à cette occasion qu’elle me raconte La Jonquère, cette zone franche entre l’Espagne et la France, supermarché discount à ciel ouvert où l’on charge les coffres de charcuterie, d’alcool et de cigarettes. Depuis les années 2000, La Jonquère est aussi devenue un lieu emblématique de la prostitution légale, dont les clients sont majoritairement français. Muriel évoque l’importance du phénomène pour son département des Pyrénées-Orientales.
Commencent alors plus de deux ans de recherches pour approcher, comprendre (essayer de…) cet endroit. En plusieurs résidences, nous rencontrons des gens impliqués dans la vie de La Jonquère ou dans la prostitution et sa pensée (clients, sociologues, militants et militantes…). Plus ces rencontres se déroulent, plus la sensation se précise que notre idée initiale est une impasse et que je ne pourrai pas écrire depuis l’intérieur d’une chambre de La Jonquère. Images convenues de « la prostituée à sauver » ou – progrès – « se sauvant elle-même ». Néons et bandes son tellement loin de ma langue et des envies de Muriel… Situation de l’écriture aussi, qui rend dans ce cas là très difficile de ne pas écrire du point de vue de l’homme que je suis, de ce que cela fait à l’homme que je suis que ce lieu-là existe.
C’est alors qu’intervient le second mouvement dans l’écriture du Jour de l’ours : je découvre qu’à quelques kilomètres seulement de La Jonquère, se déroulent les dernières fêtes médiévales métropolitaines, les fêtes de l’ours du Haut-Vallespir. Une histoire d’hommes et de Bête. L’ancien roi des animaux, la toute puissance guerrière et sexuelle, qui joue une dernière fois le rapt de la jeune fille et sa défaite face aux chasseurs. L’intégration de la Bête dans la société villageoise.
Les ponts entre les deux phénomènes font vibrer en moi tous les ressorts de l’écriture.
Nous mettons en place avec Muriel Sapinho une résidence dans la vallée du Haut-Vallespir. Nous marchons. Nous rencontrons des gens qui vivent là, depuis toujours ou non. L’écriture peut commencer.
Dans la presse

Le Jour de l’ours ou le tragique contemporain
Une pièce énigmatique. D’abord parce que, s’il s’agit du jour de l’ours, il n’y est jamais question de cet animal. En revanche, ce sont quatre personnes bien humaines et bien présentes et parfaitement actuelles.
Deux jeunes : Rosa et Arthur. Ils se rencontrent, ils se flairent, ils s’attirent et se craignent.
Deux adultes : Hubert et Marie, visiblement amis. Le premier est l’éducateur de la jeune Rosa, ado problématique, l’autre, est une sorte d’ermite, réfugiée en montagne, suite, on l’apprend assez vite, à la mort de son mari et de sa fille, quelques temps plus tôt.
Plus bas, le village, évoqué par les uns ou les autres, où l’on s’inquiète du sort de cette femme seule, isolée sur sa montagne, dont la voiture est en panne et qui ne descend plus jamais et que tous appellent la nonne. C’est Hubert qui lui monte ses courses ; et puis, elle a la nature qui pourvoit à beaucoup de ses besoins. Tout le monde veut aider Marie et Marie n’a nul besoin d’aide.
Hubert, justement, a eu une idée : la jeune Rosa (seize ans) veut s’en sortir ; il a proposé à l’équipe, un séjour de rupture… dans le mas montagnard qu’il ne possède pas. Chez Marie, en fait. Marie : Hubert, merde ! Hubert : J’en peux plus de les voir finir à la rue, sur les trottoirs à faire la manche, tapiner… le désarroi de Hubert, son impuissance, sa colère devant le gâchis, s’affrontent à la résistance obstinée de Marie, qui elle, a des ressources ailleurs : dans la nature, dans la solitude et qui se méfie de la pitié. De celle des autres et peut-être aussi de celle qu’elle pourrait éprouver. Son neveu Arthur débarque, lui aussi pour l’aider. C’est fou ce que les gens veulent l’aider… c’est fou aussi ce que les gens camouflent derrière leurs mots de braves, de fiers, de courageux… chacun ses fêlures, chacun son mal de vivre, son mal à vivre. Alors, il faudra bien purger tout ça, en grimpant, fusil en main, dans le froid et l’obstination. Le sang comme épreuve et comme preuve; comme énigme aussi.
C’est une pièce étrange, écrite dans un langage parlé très actuel, direct, voire brutal, mais qui évoque les tragédies antiques sans vraiment s’y référer. Une sorte de cérémonie de deuil dans laquelle il est bien difficile de trouver quelque consolation.
Cette ouverture permet sans doute au metteur en scène mille et une explorations. Pistes nombreuses qui peuvent éveiller les questionnements chez les spectateurs sensibles, l’incompréhension chez ceux qui aiment qu’on leur explique tout. Savoir si l’œuvre d’art doit donner des réponses ou poser des questions… !
Nicole Fack
Théâtre actu
décembre 2022

Le jour de l’ours – une plongée dans le monde de la Jonquera
Le mercredi 28 septembre prochain, L’Estive de Foix accueille le spectacle Le jour de l’ours, un huis clos avec comme arrière-plan, les réseaux de prostitution de la Jonquera.
Huis clos au cours duquel quatre personnages abîmés par la vie se croisent dans une forêt au sein de laquelle ils viennent panser leurs plaies, Le jour de l’ours se présente à la fois comme un rituel et une fête. Simon Grangeat et Muriel Sapinho, de la compagnie les Petites gens, ont mené une enquête sur la prostitution à la Jonquera et se sont interrogés sur la manière dont la société construit la notion de virilité sur un territoire frontalier, et donc entre deux pays. Cette zone franche entre l’Espagne et la France, plus connue pour ses supermarchés discount où l’on se rue pour faire le plein de charcuterie, d’alcool et de cigarettes, est aussi devenue, depuis le tournant du siècle, un lieu de prostitution légale dont les clients sont majoritairement français. Une zone dans laquelle on vient tout acheter, donc, de la nourriture comme des corps, transformant ces adolescents qui se prostituent en biens de consommation. Pendant deux ans, au cours de plusieurs résidences, les artistes ont rencontré les gens impliqués sur ce territoire, mais aussi des sociologues et militants, sur la question de la prostitution. Ces échanges viennent peu à peu nourrir l’écriture du jour de l’ours. Parallèlement, Simon Grangeat découvre à quelques kilomètres de là, les dernières fêtes médiévales métropolitaines, notamment les fêtes de l’ours du Haut-Vallespir. Une histoire d’hommes et de bête. L’ancien roi des animaux, la toute-puissance guerrière et sexuelle, qui joue une dernière fois le rapt de la jeune fille et sa défaite face aux chasseurs. L’intégration de la bête dans la société villageoise. Alors, les ponts se tissent entre ces deux phénomènes et déclenchent une écriture qui amène à un spectacle habité, où le mystique païen côtoie la réalité pour exacerber le sens.
Tout débute chez Marie, en hiver, au milieu des forêts et de la montagne, dans une atmosphère à la fois inquiétante et rassurante. Elle vit seule depuis que sa fille et son compagnon sont morts accidentellement. Seule dans ce champ de ruine, elle tient bon, phare au milieu de la tempête. Elle est à la fois celle qui s’est écroulée et celle qui se reconstruit. Et c’est chez elle que débarque un ami de longue date, accompagné d’une jeune femme qu’il tente d’extraire du milieu de la prostitution, et d’un neveu venu chercher une forme de repos après les excès de la jeunesse. Quatre protagonistes dans un univers trouble et onirique qui, se découvrant, vont être amenés à s’affronter, se lier, se déchirer.
Au plateau, un décor sobre et rude, à l’image du lieu incarné, fait de matières brutes et minimalistes, ainsi qu’une création lumière suggestive, faite d’ombre, d’obscurité et de fumée.
Un théâtre évocatoire et sensoriel, où, dit Muriel Sapinho, le spectateur travaille à combler les silences et à construire le sens.
La Dépêche
septembre 2022

L’humain aux frontières du réel dans Le Jour de l’ours
À Nîmes, Le Périscope accueillait hier la compagnie Les Petites Gens avec la pièce Le Jour de l’ours. Dans une ambiance pesante et prenante, quatre personnages délités y évoluent dans une montagne aux frontières du réel, où semble se libérer tout un pan sombre de la nature humaine…
La salle se noie dans une obscurité qui se fond avec la nuit qui paraît hanter la scène. Dès les premières lueurs sur le plateau, le décor est posé. Littéralement. Un tapis de feuilles mortes recouvre intégralement le sol, jonché ici et là de chaises à moitié détruites par le temps. Comme le mas de montagne où se déroule l’action, tombé en ruine au fil des années et dont seuls les encadrements de porte et de fenêtre rappellent encore l’existence dans cette scénographie. C’est suffisant. Quelques éléments, associés aux bruits effrayants de la forêt qui jouent sur nos sens, suffisent à nous plonger dans l’univers de la pièce.
Écrit par Simon Grangeat, dans la lignée que défend la compagnie Les Petites Gens pour la diffusion des auteurs émergents, le texte joue un rôle essentiel dans cette création. Ne pas trop en dire pour imaginer le pire. Ne pas tout résoudre non plus, parce qu’il n’existe pas toujours de solution. Et jouer ainsi avec les personnages comme on joue avec le public, sur des non-dits, des secrets, des confidences à demi qui appesantissent les relations.
« Quand on ne peut plus lutter, il faut fuir. »
Ce délitement du décor, ce texte qui pose plus de questions qu’il n’apporte de réponses… Tous ces éléments servent une pièce qui met en exergue une nature humaine complexe, violente, instinctive. Dans ce spectacle qui arpente les chemins de l’horrifique, du psychologique et du fantastique, l’animal humain se retrouve confronté à lui-même, l’isolement de la montagne devenant prétexte à exacerber nos traits les plus sombres, nos tares les plus profondes.
Il y a cette complaisance aussi, avec laquelle on finit par accepter la vie qui nous incombe. Une existence faite de douleurs, de souvenirs, de combats, de choix et d’espoirs. Mais jusqu’à quel point est-on prêt à aller pour reprendre notre destin en main, ou au contraire pour décider de succomber et renoncer à son propre contrôle ? Ce sont tous ces sujets qui sont abordés dans Le Jour de l’ours, et plus encore…
On y retrouve également des thématiques très actuelles, très larges, sur la traite des êtres humains, sur la prostitution adolescente qui répond à une soif de virilité primitive, sur les addictions et leurs conséquences, sur la confrontation entre tradition et modernité. Une modernité qui parvient d’ailleurs à s’imposer sans mal dans cette mise en scène, en dépit de l’absence choisie des nouvelles technologies et loin de nos habitudes trop faciles du quotidien. À croire que c’est loin des villes que se révèle la véritable nature humaine.
On notera enfin un travail créatif, pertinent et réussi des lumières, qui viennent habilement compléter l’ensemble et prennent le relai d’un décor que l’on ne peut que se figurer. Cette pièce se fait l’écho, par sa singularité, d’une société qui a depuis longtemps dépassé de nombreuses limites. Elle nous ramène aussi à l’essentiel du théâtre : le texte, l’imaginaire, la sensation. À découvrir, donc, si vous en avez l’occasion.
Peter Avondo
Snobinart
octobre 2022


