Je suis vivante
inédit, 2024
48 pages
PERSONNAGES :
2 femmes
quelques fantômes, musiciens pour certains
Prix et sélections
traduit en espagnol par Actualités éditions, 2026

Au seuil de sa majorité, une jeune fille vient demander à sa grand-mère de faire récit. Elle pousse la parole, use ses forces à briser les silences. L’autre résiste – les blessures sont anciennes. C’est la lignée entière qui est à vif et se souvenir réactive les plaies. Elle préférerait laisser toute l’histoire enfouie, mais sa petit-fille insiste, fouille, ressort carnets, photos et articles découpés… Une vie après l’autre, le vingtième siècle ressurgit dans ses violences et ses espoirs, dans ses défaites successives, aussi, qui entravent le présent. Les combats d’aujourd’hui se nourrissent de ceux d’hier.

mise en scène de Laurent Fréchuret
(c) Cyrille Cauvet

mise en scène de Laurent Fréchuret
(c) Cyrille Cauvet

mise en scène de Laurent Fréchuret
(c) Cyrille Cauvet
extrait
Léa. – Tu ne m’as jamais parlé de ta vie là-bas.
Hayat. – Qu’est-ce que tu veux que je te dise ? Ça a été. Et puis ça s’est fini.
Léa. – C’était bien ?
Hayat. – J’étais enfant.
Léa. – Tu étais heureuse ?
Hayat. – Tu es drôle, toi. J’avais huit ans quand on est parties. Personne ne se pose cette question à huit ans, si ?
Léa. – Tu aurais aimé rester là-bas ?
Hayat. – Nadie eligió irse.
Léa. – بتحبي الجزائر ؟
Hayat. – Depuis quand est-ce que tu parles arabe ?
Léa. – Ta mère parlait arabe. Elle l’écrivait aussi.
Léa ouvre le cahier.
1951. « 8 de junio – la date est en espagnol. هذا الصباح بشير جاء لرؤيتي مع أخيه فاروق,رجال مستنيرين , موسيقيين عندما يغنون , الشمس تعود لتنير حزني الطويل
Hayat. – Qu’est-ce que ça veut dire ?
Léa. – « Ce matin, Bachir est venu me voir avec son frère. Farouk. Des musiciens. Quand ils chantent, le soleil éclaire ma longue tristesse. » Quelque chose comme ça.
C’est une fille du lycée qui m’a traduit ce passage. Je l’ai appris par cœur.
Hayat. – Je croyais que c’étaient des poèmes.
Léa. – Elle m’a dit que c’était une sorte de journal intime. Parfois, il y a aussi des notes. Parfois, il y a des pensées. Des listes de mots.
Pourquoi est-ce que tu fais cette tête ?
Toi aussi, des fois, tu as honte ? Moi, je me dis qu’ils viennent de là, nos problèmes.
L’écriture
Nous nous sommes rencontrés avec Khaled Aljaramani, en 2020, et nous avons tout de suite senti que nous aurions quelque chose à faire ensemble, plus tard… Ni lui ni moi ne voulions forcer le destin en fabriquant un « projet » dans lequel nous inscrire. Nous sommes restés en lien. Un jour, je me suis mis à écrire et ce que j’écrivais vibrait dans mon esprit sur le oud de Khaled et je le voyais sourire en même temps que j’écrivais alors je lui ai envoyé mon poème… Khaled m’a présenté son frère, Mohanad, et puis Raphaël Vuillard, avec qui ils composent le trio Bab assalam. Laurent Fréchuret est rentré dans l’aventure et c’est ainsi qu’est né Je suis vivante.
J’avais envie d’écrire sur des générations différentes, traversées par l’Histoire à des moments variés de notre siècle. J’avais également envie d’écrire au plus proche d’une tragédie grecque archaïque (comme on peut les lire dans les traductions d’Irène Bonnaud). Une langue à l’os. Des dialogues vifs et aiguisés. Un chœur – chanté et en arabe – qui commente et réponde musicalement aux personnages.
J’avais envie de parler de notre réel mouvementé. De nos révoltes. De comment nos grands-parents sont arrivés d’Espagne, d’Algérie, d’Italie, du Portugal, de Pologne pour poser leurs valises par ici… J’avais envie de parler de nos luttes et de comment un peuple se met en mouvement. Khaled et Mohanad sont Syriens et leur présence faisait peser le poids des mots « révoltes » ou « violence » d’un sens très précis, sans fantasme.
La pièce commence un lendemain de manifestation. Ici. Une jeune femme entre sur scène – portée par une colère intime. En face d’elle, une grand-mère, chargée d’une autre Histoire du vingtième-siècle – une autre histoire de la violence et de la guerre. Derrière elles, chantant, le chœur de ceux qui ont lutté et ce sont révoltés.


