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Brouillards

Depuis sa petite enfance, Jordy navigue de services sociaux en familles d’accueil, de services sociaux en foyers d’hébergement.
Il a seize ans lorsque la pièce commence. C’est l’automne de sa vie – phrase qu’il aime répéter à qui veut bien l’entendre.
En quatre mouvements et autant de saisons, la pièce retrace la trajectoire de Jordy.
C’est d’abord son nouvel éducateur qui raconte son enfance, à l’occasion d’un entretien avec la mère de Jordy. Puis Youssef et Lorenzo, ses meilleurs amis, ses copains de bas d’immeubles, de rap et de zone.
Quand arrive le printemps, Jordy reprend les rênes de son histoire – semble les reprendre, en tout cas. De théâtre-récit rétrospectif, la scène se fait présente et, par-là, l’émancipation envisageable…
Jordy rencontre Effie, une jeune fille à la vie droite des enfants de bonne famille. Ensemble, ils vont se mettre en mouvement, rêver un avenir en commun…

Inspirée de l’histoire de Jordy Brouillard, jeune Belge décédé en 2016, Brouillards questionne la vie que notre société fait mener aux enfants dont elle est censée assurer la protection.


L’écriture de Brouillards a été accompagnée par le collectif A mots découverts.
La pièce a été sélectionnée sous son ancien titre, Qui Vive, par le comité de lecture des EAT.
Elle fait partie de la sélection 2021 du comité de lecture A mots découverts.

L’écriture

Le début de la pièce

Automne

Un parc de ville, le soir.
Jordy s’installe près d’une toile de tente.
Il pose ses affaires.
S’assoit dans l’herbe.
Prend le temps de regarder autour de lui.
L’espace, autour de lui.
Le ciel entre les arbres.

* * *

L’éducateur. – « Pour moi, aujourd’hui, c’est l’automne dans ma vie. » C’est ce qu’il me dit la première fois que je le vois. Il est assis en face de moi, sur sa chaise en plastique. On est au mois de mars, au printemps. « Je parle pas de l’automne dehors, hein. Je parle de l’automne dedans. Dedans moi, c’est l’automne. » Il a ses deux yeux plongés dans les miens. De grands yeux bleus. Délavés. « Bientôt ce sera l’hiver et après, bientôt, la mort. » Il a pas encore seize ans. Je sais pas trop quoi lui répondre. Je lui réponds rien. Enfin, je crois. Je me tais. Lui, il éclate de rire. « Smile, mec ! »
Jordy. (en retrait) Il faut toujours rire.
Toujours.
Sourire au moins.
L’éducateur. – « Keep smiling ! » C’est ce qu’il me dit, oui.
Jordy. (en retrait) Paraît que ça peut donner le change.
L’éducateur. – « Don’t cry and smile ! » Tu connais ?

* * *

Dans les bureaux de la protection de l’enfance.
La mère. – Est-ce qu’on serait forcément obligées d’aimer nos enfants ?
L’éducateur. – Sa mère me balance ça comme ça. Le même jour. La première fois que je la rencontre, elle aussi.
La mère. – Je veux dire : c’est pas parce qu’on les a mis au monde qu’on est forcément attachées, si ?
L’éducateur. – Une sorte de baptême du feu.
La mère. – C’est écrit quelque part ? La génétique ? Ça y est, ils ont la preuve ? Je suis pas certaine qu’on puisse trouver un jour, moi. Je dis pas ça pour moi. Pas forcément. Je réfléchis tout haut. Qu’est-ce qui pourrait nous forcer à aimer nos enfants ? Juste parce qu’on est leur mère ? Est-ce que c’est parce qu’on nous apprend ça depuis qu’on est petites ? S’occuper des poupées, faire la dînette, changer des couches… Devenir de gentilles petites mamans ! Ou bien c’est parce que tout de suite après, on s’occupe pour de vrai des petits frères et des petites sœurs… On fait du baby-sitting en interne pour aider maman qui est toujours tellement débordée à force de devoir tout gérer toute seule. Je me pose la question. Parce qu’on n’a pas été aimées par nos mères, on se sentirait obligées de réparer quand c’est notre tour, de donner tout l’amour qu’on n’a pas reçu quand c’était l’heure ?
L’éducateur. – J’aimerais qu’on revienne à la situation de Jordy.
La mère. – Je sais bien que je suis pas vraiment à la hauteur. Je n’ai pas besoin de vous pour m’en rendre compte.
L’éducateur. – Ce n’est pas la question.
La mère. – Si c’était pas la question, je ne serais pas convoquée dans ces bureaux à longueur d’année. De toute façon, ce que je pense n’a pas d’importance. Ce qu’il pense lui non plus, ça ne vous intéresse pas vraiment. Je crois plutôt que vous essayez d’avancer sans trop bousculer vos habitudes, les schémas que vous avez appris bien sagement. Vous étiez bon à l’école, vous, je me trompe ?
Temps.
Vous me l’avez déjà pris tellement de fois. Faites ce que vous avez à faire. Je n’ai pas d’armes, moi. Je ne peux pas lutter.
L’éducateur. – Il ne s’agit pas d’une lutte, madame.
La mère. – Vous avez raison. Dans une lutte, tout le monde se bagarre. Là, c’est juste un massacre.
L’éducateur. – On va faire une pause.


Pour découvrir le texte intégral, vous pouvez en faire la demande ici.

Autour de la pièce