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Le Rat des planches pour Krach !

La compagnie M.A. (installée au Théâtre Le Guignol de Lyon pour une durée de trois ans) avait su nous conquérir dès le début, avec ses improvisations sur les élections présidentielles de 2017, qui nous avait fait hurler de rire tout en remettant au goût du jour la tradition satirique de la marionnette à gaines lyonnaise. On les retrouve aujourd’hui pour une création contemporaine pour adultes sur la thématique de l’économie mondiale, et on y va donc les yeux fermés. Ou plutôt confiamment grand ouverts.
Krach se veut politique et de fait, dès les premières minutes, n’est pas à moitié engagé. Ce sont des réalités crues et ironiques qui sont mises sous les yeux d’un public qui ne peut que rire… Rire pour évacuer sa frustration face à l’absurdité du monde. Rire pour pouvoir faire face aux vérités de notre société actuelle. C’est donc un spectacle cinglant, on pourrait même dire violent et saisissant qui s’offre à nous dans un enchaînement de tableaux dénonçant tour à tour les inégalités sociales, les politiciens, les grandes entreprises. Sans extravagances scéniques, honnête et visuellement ingénieux. On assiste ainsi à une publicité pour un mixeur qui broie sans vergogne une liste d’anonymes

morts dans l’exercice de leur fonction sans que l’on n’en ait jamais parlé dans les médias. On regarde Loulou Belle Gueule et Chérie Gambette, un couple de sans-abris, faire de la spéculation financière à partir d’un ticket de Gratto-gratte. On voit défiler des membres du gouvernement aux discours incohérents, une gouvernante qui se complait dans son illusion de faire quelque part parti du milieu qu’elle sert, ou encore des riches qui, face à leur situation, font de la mauvaise foi. Mais dans tous les cas, quoi qu’il arrive, et sans détour, presque fatalement: « les citoyens l’apprennent, et il ne se passe rien ».
On ne peut s’empêcher de souligner la créativité dont a fait preuve Emma Utges (et sa plasticienne) avec les marionnettes qu’on nous présente successivement sur scène. Mousse, sacs en carton, panneaux dessinés, pinces à escargot, boules à thé: on repousse les limites de l’imagination ! Surtout, l’usage de matériaux récupérés pour l’occasion sert totalement la pertinence du propos. L’inventivité est donc au rendez-vous, et on a du mal à se décrocher de tout cet univers que la compagnie met systématiquement à disposition du public à la fin de la représentation, pour prolonger l’impact artistique.

On note également la présence musicale, à la fois décalée et sérieuse, de Patrick Guillot – qui est à la composition, à l’exécution et qui s’invite en prime sur la scène pour du texte au même titre que les autres, pour notre plus grande surprise et notre plus grand bonheur. Tout ce qu’on pourrait reprocher à ce spectacle en somme, c’est de laisser un spectateur en symbiose totale avec le texte, apaisé de pouvoir partager la dureté de notre société moderne avec le reste du public sans jamais vraiment augmenter le rythme et le faire passer à un niveau supérieur: celui de la révolte.
En conclusion, il n’y a pas qu’un Guignol à la main que la Compagnie MA manifeste son génie et qu’elle ravive les débats sur la lutte des classes dans le cœur des lyonnais! C’est, en tout cas, une forme réfléchie et astucieuse de la marionnette contemporaine qu’elle a su mettre sur pied – dont le fond consistant et poignant résonne à l’heure actuelle en chacun d’entre nous. C’était original, c’était intelligent, ça faisait du bien. On recommande sans hésiter!
RATure

@lesratsdesplanches