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Snobinart pour Le Jour de l’ours

L’humain aux frontières du réel dans « Le Jour de l’ours »

À Nîmes, Le Périscope accueillait hier la compagnie Les Petites Gens avec la pièce Le Jour de l’ours. Dans une ambiance pesante et prenante, quatre personnages délités y évoluent dans une montagne aux frontières du réel, où semble se libérer tout un pan sombre de la nature humaine…

La salle se noie dans une obscurité qui se fond avec la nuit qui paraît hanter la scène. Dès les premières lueurs sur le plateau, le décor est posé. Littéralement. Un tapis de feuilles mortes recouvre intégralement le sol, jonché ici et là de chaises à moitié détruites par le temps. Comme le mas de montagne où se déroule l’action, tombé en ruine au fil des années et dont seuls les encadrements de porte et de fenêtre rappellent encore l’existence dans cette scénographie. C’est suffisant. Quelques éléments, associés aux bruits effrayants de la forêt qui jouent sur nos sens, suffisent à nous plonger dans l’univers de la pièce.
Écrit par Simon Grangeat, dans la lignée que défend la compagnie Les Petites Gens pour la diffusion des auteurs émergents, le texte joue un rôle essentiel dans cette création. Ne pas trop en dire pour imaginer le pire. Ne pas tout résoudre non plus, parce qu’il n’existe pas toujours de solution. Et jouer ainsi avec les personnages comme on joue avec le public, sur des non-dits, des secrets, des confidences à demi qui appesantissent les relations.

« Quand on ne peut plus lutter, il faut fuir. »

Ce délitement du décor, ce texte qui pose plus de questions qu’il n’apporte de réponses… Tous ces éléments servent une pièce qui met en exergue une nature humaine complexe, violente, instinctive. Dans ce spectacle qui arpente les chemins de l’horrifique, du psychologique et du fantastique, l’animal humain se retrouve confronté à lui-même, l’isolement de la montagne devenant prétexte à exacerber nos traits les plus sombres, nos tares les plus profondes.
Il y a cette complaisance aussi, avec laquelle on finit par accepter la vie qui nous incombe. Une existence faite de douleurs, de souvenirs, de combats, de choix et d’espoirs. Mais jusqu’à quel point est-on prêt à aller pour reprendre notre destin ou main, ou au contraire pour décider de succomber et renoncer à son propre contrôle ? Ce sont tous ces sujets qui sont abordés dans Le Jour de l’ours, et plus encore…
On y retrouve également des thématiques très actuelles, très larges, sur la traite des êtres humains, sur la prostitution adolescente qui répond à une soif de virilité primitive, sur les addictions et leurs conséquences, sur la confrontation entre tradition et modernité. Une modernité qui parvient d’ailleurs à s’imposer sans mal dans cette mise en scène, en dépit de l’absence choisie des nouvelles technologies et loin de nos habitudes trop faciles du quotidien. À croire que c’est loin des villes que se révèle la véritable nature humaine.
On notera enfin un travail créatif, pertinent et réussi des lumières, qui viennent habilement compléter l’ensemble et prennent le relai d’un décor que l’on ne peut que se figurer. Cette pièce se fait l’écho, par sa singularité, d’une société qui a depuis longtemps dépassé de nombreuses limites. Elle nous ramène aussi à l’essentiel du théâtre : le texte, l’imaginaire, la sensation. À découvrir, donc, si vous en avez l’occasion.

Peter Avondo

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