Stravinsky affirmait haut et fort que l’artiste n’était jamais aussi libre que lorsque règles et contraintes semblaient le contraindre à suivre certains chemins. De ce point de vue, avec la commande que le théâtre de l’Incendie que dirige Laurent Fréchuret lui a passée, Simon Grangeat aura été parfaitement servi ! En premier lieu il lui fallait développer sa proposition en 45 minutes, laps de temps autorisé entre deux sonneries, deux appels à entrer ou à sortir de classe. Car le spectacle – même s’il se donne aujourd’hui dans un théâtre ce dont on ne peut que se féliciter –, la proposition théâtrale était destinée à être donnée dans l’espace restreint d’une salle de classe, ce qui, conséquence directe, limitait le nombre de comédiens. Quant au sujet, on se doute vers quoi il pouvait bien être dirigé.
La première qualité de cet Infâme réside dans la réponse, sur le papier, de Simon Grangeat. Le texte qu’il a proposé à Laurent Fréchuret est tout simplement admirable dans l’élaboration et le développement de son sujet, dans son écriture serrée, d’une étonnante densité. Il met en lumière le parcours (le fil d’Ariane ?) d’une toute jeune fille en apprentissage de couture qui va, de fil en aiguille (pardon pour le jeu de mots !), trouver sa voie (x) avec l’aide de sa patronne-logeuse, et de sa meilleure amie au tempérament totalement opposé au sien. Autant dire que Laurent Fréchuret ne pouvait que se sentir à l’aise à dévider ainsi, avec l’aide de ses deux comédiennes, l’écheveau savamment tissé par Simon Grangeat (pardon pour la métaphore !). On connaît le doigté et l’intelligence du metteur en scène dans la direction toujours fine de ses comédiens ; il est ici servi au mieux par Louise Bénichou, la jeune apprentie qui s’évertue à couper tout lien avec son accapareuse de mère à qui Flore Lefebvre des Noëttes prête sa voix, étonnante dans son économie et la retenue de son jeu, aidée, soutenue par l’explosive Alizée Durkheim-Marsaudon. La relation entre les deux jeunes femmes aux tempéraments si différents l’un de l’autre prend peu à peu tout son sens. L’émotion est au bout du chemin.
Jean-Pierre Han