Du piment dans les yeux est l’histoire croisée de Mohammed et d’Inaya, tous deux partis sur les routes pour tenter l’aventure d’une vie meilleure. Elle fuit la guerre, lui est mû par une inextinguible soif d’apprendre et de continuer à étudier.
D’une séquence à l’autre, la pièce suit en alternance le parcours de ces deux jeunes gens qui affrontent notre monde et – sans résignation – luttent pour se construire une existence digne.
Du piment dans les yeux commence légalement et finit sans papiers, commence sous le ciel d’Afrique et se termine sur les eaux de la Méditerranée.
Entre les deux : les exils, les fuites, la débrouille et surtout, l’irrésistible envie de ne pas subir.
Du Piment dans les yeux est une commande du Fracas, CDN de Montluçon et d’Antonella Amirante, compagnie Anteprima.
La pièce a été accompagnée et sélectionnée par le collectif A Mots découverts.
Elle a reçu l’aide à la création d’Artcena, 2016.
Elle est finaliste du prix Ados – Maison du Théâtre d’Amiens, 2018.
Lauréate du prix Collidram – association Postures, 2019.
Lauréate du prix Sony Labou Tansi – Les Francophonies – des écritures à la scène, 2021.
Du Piment dans les yeux est édité aux éditions Les Solitaires intempestifs
L’écriture
Au printemps 2015, Antonella Amirante, metteuse en scène de la compagnie Anteprima, partage avec moi l’histoire de Mohamed Zampou, un jeune homme parti solitaire de Côte d’Ivoire et arrivé sain et sauf à Nantes, dans le seul but de continuer ses études. Le récit de son aventure, la singularité de son parcours, m’intriguent immédiatement. J’aime cette quête, ce désir si intense d’apprendre qui fait braver tous les dangers à Mohamed.
A cette époque, invité par Le Fracas – CDN de Montluçon, je dois écrire une pièce à destination de lycéens. Leurs enseignants m’ont expressément demandé de les faire sortir du lycée, de faire entre le monde dans leur univers scolaire.
Je décide alors de mettre ces jeunes gens dans les pas de Mohamed.
Dans la réalité, l’histoire de Mohamed se termine bien. Au moment où j’écris ces lignes, le jeune homme a depuis longtemps fini ses études dans un lycée nantais, il veut devenir pompier et a obtenu la nationalité française – grâce au sauvetage héroïque et très médiatisé de deux personnes prises dans un incendie, à Nantes.
Mais au moment où j’écris, plus je chemine et plus j’ai mauvaise conscience de raconter les milliers de vie abîmées ou sacrifiées par le voyage à travers l’exemple d’un seul qui en réchappe.
Un reportage d’Olivier Jobard m’offre un début de réponse. Sur les images, une jeune femme, crâne rasé pour se faire passer pour un homme, chaussures bricolées avec deux bouteilles de plastique, défie l’objectif droit dans les yeux. Elle ne veut plus se cacher. Elle veut que sa famille puisse la voir. Puisse voir la dureté du voyage. Sa déchéance (ce qu’elle considère elle-même comme). Inaya, le second personnage Du piment dans les yeux, est née ainsi.
J’ai croisé leur deux chemins – ces deux raisons de partir et deux destins différents. J’ai donné corps à ces deux personnages, en me permettant pour la première fois dans mon écriture d’aller un peu plus loin dans l’intime et dans l’incarnation.
Et plus que tout, j’ai voulu faire de ces deux jeunes gens non pas les victimes de notre monde, mais les héros de leur histoire.
août 2021
Entretiens sur la pièce
Le début de la pièce
Un
– Imaginez : un gamin qui marche seul sur le trottoir de sa ville.
– Un gamin ?– C’était il y a longtemps alors je dis un gamin, oui.
– Soleil de plomb.
– Ombres courtes.
– Et lui qui marche en bordure de trottoir.
– Un pied devant l’autre…
– Il danse, presque !
– C’est Mohamed ?
– Évidemment, c’est Mohamed.
– Je vous présente Mohamed : marcheur en équilibre sur le trottoir empoussiéré de sa ville.
– Regardez : il porte déjà son T-shirt VICTORY – deux doigts levés sur un soleil levant.
Mohamed. – La Victoire.
– C’est comme ça qu’on l’appelle dans les cours de son quartier.
Mohamed. – Mohamed Victory.
– Dans les ruelles du port.
– Salut à toi, Mohamed La Victoire !
– C’était il y a longtemps.
– Son T-shirt est encore presque neuf.
Mohamed. – J’ai quinze ans.
– Un gamin !
– C’était il y a longtemps !
Mohamed. – Je termine le collège. Aujourd’hui, je termine le collège !
– Et maintenant, tu cours presque sur le trottoir de ta ville.
Mohamed. – Je ne veux pas courir !
– Il presse le pas, joyeux, mais il ne veux pas courir, non.
Mohamed. – C’est quand même mieux de pas transpirer quand tu annonces une bonne nouvelle !
– Il s’imagine déjà annonçant sa nouvelle.
– Il s’imagine le visage de son père.
Mohamed. – Celui de ma mère, surtout !
– Ça n’arrive pas tous les jours dans la maison, une bonne nouvelle.
Mohamed. – Je suis heureux !
– Les temps sont difficiles.
– Tu es fier, aussi.
– Il faut se serrer la ceinture.
– Mohamed presse son pas.
Mohamed. – Mais je ne cours pas !
– Juste ce qu’il faut pour arriver chez lui avant que son père ne reparte au travail.
Mohamed. – Je ne cours pas !
– Il ne veut pas courir, non.
Mohamed. – Mon cœur, mon cœur
Demain pour toi
Ma vie bonheur
Je serai roi
– Et voilà son père !
– Amadou.
– Regarde.
– Fin prêt pour commencer sa seconde journée de travail.
– Amadou.
– Corps sec.
– Regard vert.
– Amadou décharge des camions toute la journée au marché gare d’Abidjan et, la nuit, il décharge des bateaux sur le port.
Amadou. – Les temps sont difficiles.
– Une vie entière à remplir un pays pour finir par n’avoir presque rien pour soi !
Amadou. – Il faut se serrer la ceinture.
– Un pays qui n’est même pas le tien…
Mohamed. – Papa !
Amadou. – Je suis pressé. Je dois partir.
Mohamed. – Papa, j’ai réussi mon examen !
Amadou. – C’est bien !
Mohamed. – J’ai eu les félicitations de mon collège ! Je suis le premier de toute la classe – on est plus de cent, tu te rends compte ?! Plus de cent !
Amadou. – Tu peux être fier de toi.
Mohamed. – Ils me réservent une place pour l’année prochaine !
Amadou. – L’année prochaine, c’est ton frère qui va à l’école.
Mohamed. – Papa, j’ai réussi mon examen !
Amadou. – Maintenant, je dois aller au travail. Va voir ta mère, elle est dans la cour.
Mohamed. – Je veux pas arrêter l’école. Je veux continuer mes études, papa !
– Tu entends ce crachotement dans la rue ? C’est Amadou qui est monté sur sa Peugeot.
– Une vieille 102 bleue…
Mohamed. – Je veux pas travailler tout de suite, papa. Je veux pas !
Images de la création
création Trouble Théâtre
création Compagnie Anteprima
Création Lycée Paul Constans – CDN Le Fracas
La question des frontières
La question des frontières et des migrations (clandestines ou non) est un sujet qui traverse régulièrement mon écriture.
En 2011, j’écris Terres closes, texte-fragments faisant état des différentes barrières élevées, physiquement ou administrativement, pour contraindre et empêcher les mouvements de population (des extraits de ce texte sont publiés en 2014 dans la revue Le Bruit du monde).
Découvrir la pièce.
En 2015, suite à un an de travail à L’Arc – scène nationale du Creusot, avec de jeunes demandeurs d’asile, j’écris Partie Libyenne, oratorio retraçant le parcours dans les camps libyens de ces jeunes gens et la complicité de nos États européens dans la perpétuation de ces crimes contre l’humanité.
Découvrir la pièce.