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Le Jour de l’ours

La pièce se présente comme un rituel. Une cérémonie païenne de fin d’hiver.
Une fête – au sens médiéval du terme – où l’alcool, le désir, la fatigue et la mort rôdent et règnent, emportant les personnages hors de leur raison.
La scène est la cour enherbée d’un mas de montagne, au milieu des forêts, dans le froid et la pénombre vite tombée d’une fin d’hiver.
Autour, il y a les arbres et les craquements de leurs branches, le bruissement des feuilles tombées sur le sol.
Autour, il y a les roucoulements, les hululements, les croassements des oiseaux, les feulements des bêtes au sol et quelques grognements inquiétants aussi, régulièrement.
Nous sommes chez Marie.
Elle vit seule ici depuis que son compagnon et leur fille sont morts accidentellement.
Elle se tient debout au milieu des ruines.
Sa maison se délite, mais tient bon dans les intempéries, tout comme son habitante.
Dans cet espace, qui est celui du rêve brisé, de la catastrophe, tout comme celui de la reconstruction, s’invitent sans prévenir les autres protagonistes.
Un ami de longue date – possible amant et amoureux secrètement.
Une jeune femme qu’il conduit ici en séjour de rupture pour tenter de briser le cercle de la prostitution.
Un neveu venu se mettre au vert et se refaire une santé après une jeunesse excessive.
En cinq mouvements – en trois nuits et deux jours – ces quatre-là vont se découvrir, s’affronter, se lier, se déchirer, jusqu’à l’irréparable.

Le Jour de l’ours a été crée par la compagnie Les Petites Gens, mise en scène de Muriel Sapinho (2022).

La pièce est lauréate de l’Aide à la création d’Artcena (2022).

L’écriture

L’écriture du Jour de l’ours commence par une invitation de Muriel Sapinho, de la compagnie Les Petites Gens.
Elle vient de mettre en scène ma pièce Terres closes, et nous nous rencontrons pour les premières fois. A l’occasion d’une discussion, elle me parle de La Jonquère, zone franche entre l’Espagne et la France, supermarché discount à ciel ouvert où l’on charge les coffres de charcuterie, d’alcool et de cigarettes. Depuis le tournant du siècle, La Jonquère est aussi devenu le lieu emblématique de la prostitution légale, où les clients sont majoritairement français. Elle évoque l’imprégnation du phénomène dans son département des Pyrénées-Orientales et la confrontation précoce des adolescents avec le corps marchandise / bien de consommation.
Commence alors un chemin de plus de deux ans de recherches pour approcher, comprendre (essayer de…) cet endroit.
En plusieurs résidences, nous rencontrons des gens impliqués dans la vie de La Jonquère ou dans la prostitution et sa pensée (clients, sociologues, militants et militantes…).
Plus ces rencontres se déroulent, plus la sensation se précise que l’idée initiale – une pièce parlant depuis l’intérieur des chambres de La Jonqère – est une impasse.
Image convenue de la prostituée à sauver ou se sauvant elle-même.
Couleur des néons et musiques tellement loin de ma langue et des envies de Muriel…
Situation de l’écriture aussi, qui rend nécessaire d’écrire de mon endroit, du point de vue d’un homme, de ce que cela fait à l’homme que je suis que ce lieu-là existe.
C’est alors qu’intervient le second mouvement dans l’écriture du Jour de l’ours : je découvre qu’à quelques kilomètres seulement de La Jonquère, se déroulent les dernières fêtes médiévales métropolitaines, les fêtes de l’ours du Haut-Vallespir.
Une histoire d’hommes et de Bête. L’ancien roi des animaux, la toute puissance guerrière et sexuelle, qui joue une dernière fois le rapt de la jeune fille et sa défaite face aux chasseurs. L’intégration de la Bête dans la société villageoise.
Les ponts entre les deux phénomènes font vibrer en moi tous les ressorts de l’écriture.
Nous mettons en place avec Muriel Sapinho une résidence “avec les pieds”, dans la vallée du Haut-Vallespir. Nous marchons. Nous rencontrons des gens qui vivent là, depuis toujours ou non.
L’écriture commence ensuite.

avril 2022

Le début de la pièce

Première nuit.

Un mas de montagne.
Bruits de moteur d’une voiture qui s’approche puis s’arrête.
Une portière claque. On ouvre un coffre.
Hubert entre.

Hubert. – Alors la nonne, toujours heureuse ?
Marie. – Pose les courses dans la cuisine, s’il te plaît.
Hubert. – Je t’ai pris deux bouteilles. Ça ira pour la messe ? J’ai demandé à un copain pour ta pièce. Il y a moyen qu’il la trouve. Pour ta 4L, je veux dire.
Marie. – Tu ne veux plus monter mes courses ?
Hubert. – Ça ne me dérange pas.
Marie. – Je ne suis pas sûre d’avoir envie de réparer cette voiture. Tu manges avec moi ?
Hubert. – Je veux bien.
Marie. – Ça ne va pas ? Tu as besoin d’aide ?
Hubert. – Il reste encore un carton dans le coffre.
Marie. – Je ne parlais pas des courses.
Hubert. – Moi, si. Donne-moi ce carton.
Marie. – Laisse.
Hubert. – Tu ne veux pas que je te file un coup de main pour finir ces travaux ? J’ai des semaines de vacances à prendre. On pourrait s’organiser un truc, tous ensemble.
Marie. – Je suis bien comme ça, Hubert.
Hubert. – Ce serait l’occasion de se revoir, tous. Faire une fête, quoi.
Marie. – Je n’ai pas envie de toucher quoique ce soit dans la maison. Ça nous empêche pas de faire la fête.
Hubert. – Il y aurait quand même les enduits à reprendre. Au moins les joints. Pour la pluie, je veux dire. Je ne parle même pas du toit. Prendre soin de l’extérieur.
Marie. – Pourquoi est-ce que tout le monde s’entête à vouloir m’aider ?
Hubert. – Tu es toute seule.
Marie. – Pourquoi est-ce que personne n’accepte que tout aille bien comme ça ?
Hubert. – Même réponse, Marie : tu es seule.
Marie. – C’est mon âge, c’est ça ? Déjà une femme seule, ici, c’était limite… mais à mon âge ! C’est ça ? C’est bien ça qui vous pose problème ?
Hubert. – T’es chiante, Marie. Je voulais pas te parler de ça, moi. Je t’ai demandé si tu avais besoin d’un coup de main. Nous, on s’inquiète. Te savoir là, isolée. Merde ! Pourquoi est-ce que tu m’obliges à tenir ces discours ? Je suis pas ton père. Je déteste quand tu m’emmènes sur ce terrain. Ça me met dans des postures… Je m’excuse. C’est nul. Je me sens nul. Tu es contente ?
Marie. – Je n’ai pas besoin d’aide, Hubert.
Hubert. – J’ouvre la bouteille ?
Marie. – Je veux me coucher tôt. Je monte au Barbet demain. Les pulmonaires sont sorties.
Hubert. – Tu montes jusqu’à la tour ?
Marie. – Si la neige a fondu là-haut, oui.
Hubert. – Je peux t’accompagner ?
Marie. – Pour m’aider ?
Hubert. – Profiter de toi, plutôt. Tu n’entendras que mon souffle dans la pente. Je serai muet comme une carpe. Promis.


Se procurer le texte intégral.

En images

création compagnie Les Petites gens

Autour de la pièce