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L’infâme

Tana est une jeune fille qui débute une formation de couture en apprentissage. Elle a quitté le domicile maternel et vit chez son employeuse, en échange d’heures supplémentaires à l’atelier.
Elle a fuit une mère qui la rendait malade. Elle a coupé les ponts. Se terre dans le silence et le travail à l’atelier.
Au début de la pièce, au mois de septembre, Tana n’a pas spécialement d’appétence pour ces techniques dont elle ignore tout. Elle n’est pas très bavarde non plus. Elle sauve ou tente de sauver ce qui peut encore l’être, comme le ferait le rescapé d’une grande catastrophe.
Plus les mois passent, plus Tana se consolide.
Avec l’aide de sa patronne et de sa meilleure amie, Apolline, dans le silence de l’atelier et du travail manuel solitaire, elle va quitter les terreurs de l’enfance pour affronter sa vie. Pour affronter sa mère. La figure de sa mère.

L’Infâme est une pièce d’émancipation.
Elle débute dans la honte de soi, dans le sentiment d’humiliation et de désagrégation. Elle s’achève avec la victoire de la guerrière, ferme dans sa volonté de vivre et de se construire un avenir, pleine de force pour demain.
Elle s’achève loin de l’amertume et du ressentiment.
Entre les deux, des histoires de brodeuses, de couturières, de tisseuses ; des histoires de fils noués et de fils coupés.
L’Infâme est une histoire de liens.
Ceux qui nous brisent. Ceux dont on se libère. Ceux que l’on tisse.

L’Infâme a été écrite dans le cadre d’une résidence de création en établissement scolaire, porté par le Centre Culturel de La Ricamarie, le collège des Bruneaux, à Firminy et le lycée de la mode Adrien Testud, au Chambon-Feugerolles.
La pièce a été créée à l’automne 2023 par le Théâtre de l’incendie, dans une mise en scène de Laurent Fréchuret.

Sélection 2023-2024 du prix Collidram

Le début de la pièce

Prologue

Tana brode.
Les gestes sont précis et le dessin très net.

Tana.
Longtemps, j’ai eu la tête emplie de bruits incessants.
De murmures.
De sifflements.
De voix criardes qui m’accompagnaient en permanence.
Quand le silence en moi se faisait, rarement, je restais sidérée.
Je me retrouvais épuisée, allongée, incapable du moindre mouvement.
Et puis les murmures surgissaient de nouveau au détour d’une rue.
Au détour d’un devoir.
D’un travail.
Bruit de fond qui recouvrait mes pensées.
Crasse.
Poisse.
Glu m’empêchant d’agir.
Je n’avais pas encore seize ans.
Je venais de m’enfuir de la maison de ma mère.
Je me retrouvais seule pour la toute première fois de ma vie
avec la certitude que tout était de ma faute.
Que je n’avais pas été et que je ne serai jamais à la hauteur.
Je me retrouvais seule, avec la certitude que j’étais responsable de ce ratage.
Je n’avais pas encore seize ans et j’étais sûre que toute ma vie était déjà tracée.

Septembre.

Apolline.
La journée passe
L’ennui remplace
L’ennui. La classe
Les cours me lassent
J’attends la fin
Du calvaire. L’heure
D’la sortie – Hein !
Je guette l’ardeur
C’est quand le soir
Tombe sur les rues
Qu’enfin l’espoir
Un fleuve en crue
M’emporte et puis
Me lance de place
En place. La nuit
C’est la vie qui m’enlace.
Je bois l’envie !
Je vole de folies
En folies. La vie
Se perd dans la nuit
Je vole de folies
En folies. L’envie
Est bue, ne reste
Plus que l’aube indigeste
La nuit m’enlace
Me laisse lasse
Demain c’est classe
Mes rêves embrasent ma carcasse
T’aimes pas ce que j’écris ? Tu fais une de ces têtes ! Alors, c’est ici que tu vis ?
Tana. – C’est là, oui.
Apolline. – Tu préfères ça à l’internat ?
Tana. – L’internat, c’était trop compliqué. Les papiers. L’argent. Ici, c’est plus facile. Et puis au moins, c’est chez moi.
Apolline. – C’est un tout petit chez toi.
Tana. – C’est un chez moi quand même.
Apolline. – Tu me laisses faire le tour ? J’ai les mots qui débordent. Laisse-toi faire, je commence.
D’abord, le lit – solo
Un oreiller pas gros
Une couverture de laine
Un drap qui sent…
Tana. – Arrête, Apo !
Apolline.
Tu fais deux pas
Et tu trouveras
Le bac de l’évier
Pas lavé
Une assiette
Une fourchette
Un couteau et un verre
Un bol et une cuillère
T’as pas prévu de recevoir du monde, mon petit !
Tana. – Je vois pas comment je pourrais faire.
Apolline.
Juste à côté
Sans même bouger
Une toute petite
Plaque électrique
Un feu
Une casserole
Dans la casserole
Un peu…
Un truc…
Tana. – Des pâtes.
Apolline. – OK ! On va dire que ce sont des pâtes.
J’en viens à présent
Au plus décapant
Sous l’évier
Replié
Une serviette
Un gant de toilette
Un savon dur
L’hygiène…
Un savon dur
L’hygiène…
Ouais
Je continue.
Encore deux pas
Et tu trouveras
Un grand placard
Le bois est noir
On n’y voit rien
Il ferme trop bien
Secret défense
L’ouvrir, t’y penses
Même pas.
Tana. – C’est les affaires de ma patronne. J’ai pas la clé.
Apolline. – Alors, c’est la fin de la visite. Tous les secrets de la Tana-room ! Elle te file ça gratos, la vieille ?
Tana. – Tu planes, toi ! L’appelle pas comme ça. Ça me gêne. Elle m’aide.
Apolline. – Ça empêche pas qu’elle soit vieille.
La peau ridée.
Les cheveux gris
Plus toutes ses dents
Les yeux pareils
Tu la payes ?! Comment tu trouves l’argent ? C’est pas ta mère, quand même ?
Tana. – Je travaille pour elle en plus de mon contrat. Tous les samedis dans l’atelier. Je fais le ménage. J’emballe ce qui est fini. Des fois, elle me laisse repasser. Fais pas cette tête, c’est pas le pire. La vapeur sur tes mains, c’est doux… Je fais aussi les étiquettes. Je coupe les housses, les sacs, les pochettes. Elle me donne les trucs simples, quoi. Je sais presque rien faire, encore. J’ai pas eu beaucoup de cours… Les soirs aussi, quand elle aura des urgences à livrer, je lui filerai un coup de main. C’est ce qu’on s’est dit.
Apolline. – Moi, le samedi, je suis complètement cramée. C’est vrai, le lycée, ça fracasse, tu peux même pas t’imaginer ! Comme on était tranquilles en troisième ! La belle vie ! Les cours faciles ! La zone, tout le temps… Moi, depuis la rentrée, le samedi, je suis bonne qu’à m’affaler sur mon lit toute la journée. Récupérer pour être en forme le soir et faire la fête ! Je sais pas comment tu fais, en vrai. Tu regrettes ?
Tana. – Jamais de la vie !
Apolline. – Tana, on n’a même pas fêté ta première chambre ! Il faut absolument qu’on se boive un coup toutes les deux. J’ai mon enceinte. On va se faire la fête, là, à l’improviste. T’es d’accord ?
Tana. – Dans mon palace, il n’y a que de l’eau et si t’en veux, il faut que tu te laves ton verre. J’en n’ai qu’un !
Apolline. – Je vais aller nous acheter une bière. J’ai pas envie de me coucher tout de suite, moi. Ta première chambre, tu vas t’en souvenir toute ta vie, Tana ! Il y a bien un truc d’encore ouvert, en bas, non ?

Se procurer le texte intégral.

En images

création Théâtre de l’incendie

Sur la pièce

présentation de la pièce par Simon Grangeat & Laurent Fréchuret

Autour de la pièce